Gabon: Un officier du B2 et une magistrate impliqués dans une extorsion de 100 millions à Port-Gentil

L’affaire fait grand bruit à Port-Gentil, la capitale économique du Gabon, et bénéficie d’une large couverture médiatique. Patrick Yénou, ancien secrétaire exécutif du syndicat autonome des pétroliers (SAP), a dû verser une caution de 100 millions de francs CFA au B2, une unité de police judiciaire, pour sortir de sa cellule insalubre. Cette somme a été versée contre un reçu pour une affaire qui concernait pourtant le syndicat.

Le contexte de l’affaire
Tout commence en 2016, lorsque la société Moundélé Moon Maritime Agency (3MA) accumule un retard dans le versement des salaires de ses employés, pour une dette s’élevant à près de 400 millions de francs CFA. Un accord est alors trouvé avec le syndicat pour que l’argent, une fois disponible, soit remis au SAP, qui se chargerait ensuite de verser les salaires. La somme de 395 millions de francs CFA est alors remise au syndicat, qui procède au paiement des salaires à l’aide des bulletins de paie fournis par l’employeur.
Une succession de rebondissements judiciaires
Contre toute attente, 3MA, représentée par son directeur général Moundélé Moon et dame Iphigénie Arondo, porte plainte contre le SAP devant le tribunal de première instance de Port-Gentil. Le tribunal rejette la plainte, mais la société fait appel. En appel, la situation se renverse : la cour condamne le syndicat au remboursement des 395 millions de francs CFA et à verser 50 millions de francs CFA en dommage-intérêts. Le pourvoi en cassation du SAP n’empêche pas l’exécution de la décision, et les comptes bancaires du syndicat, qui contenaient peu d’argent, sont saisis. En septembre 2023, l’affaire est relancée par la procureure générale, Edith Christiane Mvou Loubamono, qui transmet une instruction au procureur de la République afin qu’il ouvre une procédure contre Patrick Yénou pour nonexécution d’une décision de justice. Cette démarche est d’autant plus curieuse que c’était à la société 3MA de porter plainte directement auprès du procureur.
Une extorsion de fonds
Le B2 est désigné par le procureur pour mener l’enquête. Une fois convoqué, Patrick Yénou est jeté dans une cellule insalubre comme un simple malfaiteur. Le responsable de l’unité, le lieutenant G. L. Ndemby, lui exige 150 millions de francs CFA pour en sortir. Après deux nuits passées dans cet enfer, Patrick Yénou, qui n’est pourtant plus à la tête du SAP, cède. Avec l’aide de son banquier, l’homme d’affaires parvient à réunir 100 millions de francs CFA. Il est d’ailleurs escorté par le responsable du B2 pour aller récupérer l’argent, avant d’être libéré. Lorsque le dossier est transmis au procureur, ce dernier décide de classer l’affaire sans suite, estimant qu’il n’y a pas lieu de poursuivre. Yénou réclame alors les 100 millions de francs CFA, qui auraient dû être annexés à la procédure. Cependant, le procureur de la République n’a aucune information sur cette somme, dont il ne trouve aucune trace dans le dossier. Il demande alors au responsable du B2 de restituer les 100 millions à Patrick Yénou.
Des révélations troublantes
Yénou devra attendre, car les 100 millions de francs CFA auraient été remis à Moundélé Moon, le directeur général de la société 3MA. Patrick Yénou dépose alors plainte contre 3MA et son directeur général pour extorsion de fonds auprès du premier juge d’instruction, par l’intermédiaire de son avocat. Comment cet argent a-t-il pu atterrir entre les mains de Moundélé Moon, alors qu’il s’agissait d’une caution ? Pourquoi les 100 millions de francs CFA n’apparaissent-ils pas dans la procédure transmise par le B2 ? Le B2 est-il devenu un service financier habilité à encaisser des cautions judiciaires ? Ces questions montrent le flou qui entoure cette affaire. La vérité a fini par éclater. Les proches de Moundélé Moon, sentant l’étau se resserrer autour de lui, ont commencé à tout révéler. Le responsable du B2 aurait directement apporté le sac contenant les 100 millions de francs CFA à la procureure générale de l’époque, Edith Christiane Mvou Loubamono. C’est pour cette raison que la procureure générale n’avait aucune information sur cet argent, bien que ce soit elle qui avait instruit l’enquête. Le responsable du B2 et la procureure générale auraient reçu leur part du magot. Moundélé Moon l’a clairement signifié à ses proches afin de ne pas tomber seul.
Une justice qui avance à pas lents
C’est d’ailleurs probablement parce qu’un haut magistrat est impliqué que l’affaire piétine au cabinet du premier juge, forçant Maître Moumbembe à saisir l’inspecteur général des services. Entre-temps, la décision de la cour d’appel qui condamnait le SAP à rembourser 395 millions de francs CFA a été annulée par la Cour de cassation en mars 2025. En août dernier, la cour d’appel de Port-Gentil, après un nouvel examen de l’affaire, a confirmé la décision du tribunal de première instance, blanchissant définitivement Yénou et le SAP. Le syndicat a en effet produit tous les documents prouvant que le paiement des salaires avait été organisé avec l’accord de la société, qui lui avait fourni les bulletins de paie. Le syndicat a également fourni des copies des chèques, prouvant que l’argent reçu avait bel et bien servi au paiement des salaires. Malgré tout cela, Yénou n’est toujours pas en possession de ses 100 millions de francs CFA et la procédure est toujours en suspens. Selon certaines indiscrétions, la haute hiérarchie militaire a ordonné une enquête au B2 à Port-Gentil. Le lieutenant Ndemby serait en disgrâce. Quant à la justice, elle traîne toujours les pieds dans le traitement du cas de l’ancienne procureure générale, accusée d’avoir reçu une partie des 100 millions par le directeur général de 3MA, si l’on en croit les proches de ce dernier. La vision du chef de l’État d’une justice à l’abri des comportements déviants ne devrait pas être qu’un simple souhait. Le Secrétariat permanent du Conseil supérieur de la magistrature est vivement attendu sur ce dossier.
Agnès Koumba